« Ce que le web3 change aux villes. Perspectives africaines »
Bitcoin, Blockchain, NFT, DAO, Metaverse… Un nouveau lexique d’internet s’est récemment inséré dans nos discussions. “Nous vivons les prémisses d’une révolution!” disent les plus enthousiastes, “A quoi ça sert?” répondent les plus pragmatiques.
La première génération d’internet, le web1, consistait en la mise en réseau de contenus textuels statiques. Les internautes pouvaient consulter l’information en ligne avec des possibilités d’interaction limitées. La seconde génération, le web2, est celle que nous connaissons aujourd’hui: l’internet des réseaux sociaux, des vidéos, des photos partagées et des interactions entre usagers. La principale critique est que les données des utilisateurs sont détenues par les propriétaires de plateformes monopolistiques. La maturité technologique nous permet désormais d’envisager une troisième génération d’internet, le web3, où chaque utilisateur sera propriétaire de ses données, et libre d’échanger avec ses pairs sans dépendre d’un intermédiaire.
Le nouvel internet, sécurisé, décentralisé et équitable, appartiendra à ses utilisateurs, qui partageront un pouvoir de gestion au travers de votes au prorata de leur détention d’actifs. Stockés dans des portefeuilles virtuels, les Tokens (en français Jetons) représentent les unités de valeurs disponibles dans les différentes monnaies d’échanges numériques en création libre. Tous les internautes pourront facilement rejoindre des communautés de pairs qui leur ressemblent, et s’engager collectivement à la défense d’intérêts qui leur tiennent à coeur.
Cette utopie auto-organisatrice donne à rêver aux plus ambitieux de construire de nouvelles villes à partir de zéro, où ils pourront rassembler dans le monde matériel les membres d’une communauté en ligne partageant des actifs dématérialisés. L’acquisition par le contribuable d’infrastructures publiques des villes existantes, permettrait aux habitants de s’affranchir de leurs collectivités locales. Et l’achat-vente de propriétés virtuelles avec leurs différents modèles d’exploitation, ou encore la duplication d’actifs matériels en leur jumeau numérique, offrent de nouvelles sources de revenus. La ville de Miami par exemple, gagne dorénavent 2000 dollars toutes les dix minutes par les transactions effectuées avec sa crypto-monnaie locale.
Comment ça marche?
La blockchain est un système de stockage et de partage d’information cryptée à sa création, qui lui assure d’être infalsifiable, inaltérable, involable. Chaque unité d’information est marquée en son sein de l’identité du créateur, la date de création, l’identité des propriétaires successifs, des dates et des valeurs de chaque transaction, et des modifications éventuellement apportées. Sans surprise, les crypto-monnaies, des valeurs financières numériques émises de pairs à pairs, ont été les premières à transiter par le réseau sécurisé.
Rapidement, l’accumulation de chiffres sur un portefeuille virtuel a laissé place à la création de titres de propriété cessibles. Le NFT (en français Jeton Non Fongible) est un objet numérique qui représente une valeur monétaire détenue par un propriétaire unique. De nombreux artistes contemporains se sont saisis de l’opportunité pour vendre des oeuvres d’art sous la forme de fichiers numériques. Et puisque la détention collective de valeurs virtuelles constitue un marché, elle appelle la création d’organes de gouvernance. Une DAO (en français Organisation Autonome Décentralisée) est un système transparent de gestion, organisé par des protocoles informatiques immuables.
Des contrats intelligents exécutent automatiquement les règles de gouvernance approuvés par leurs signataires, respectant les conditions des accords préalablement définis. Pour rejoindre une DAO vous faites généralement l’acquisition de crédits en monnaie virtuelle interne à la communauté. Dés lors l’utilisateur peut dépenser ses crédits en votant pour telle ou telle proposition émise par le groupe. Souhaitez vous rénover la piscine municipale, aménager le toit-terrasse de l’hotel de ville, ou construire un parc canin pour vos animaux de companie? Un processus démocratique proche du budget participatif.
Exemples d’usages sur le continent africain.
La coissance démographique africaine, la jeunesse de sa population et l’adoption récente massive de la téléphonie mobile en font un marché émergent prometteur pour les technologies de l’information. Les incubateurs d’entreprises se multiplient aux quatres coins du territoire et une nouvelle génération d’entrepreneurs entend participer à l’élévation de leur niveau de vie par la résolution de problèmes locaux.
Au Nigeria par exemple, moins de 40% de la population détenait en 2020 un document d’identité. 430 millions de dollars ont été empruntés pour déployer un système d’identification numérique. Au Sénégal moins d’un adulte sur dix dispose d’un compte bancaire. Le système de microfinancement et de transfert d’argent par téléphone mobile est un indispensable de l’économie locale. Au Ghana 90% des terres rurales ne sont pas répertoriées et la plupart des citadins n’ont pas d’adresse de domicile. L’usage de la technologie blockchain permettrait à tous les pans de la société africaine de sortir du marasme de l’informel.
A Lomé, au Togo, HubCity expérimente depuis 2012 un modèle de developpement vernaculaire pour le futur des villes africaines: apprentissage par les pairs, innovation fait maison, et auto-organisation démocratique. Une nouvelle page s’écrit avec hubcityDAO, l’émanation web3 de la mission initiale. En collectant le soutien de nouveaux membres attirés par l’aventure technologique africaine, les dirigeants voient l’opportunité pour faire un pas de plus dans leur modèle d’auto-gestion en transférant la gouvernance de leur organisation aux membres actifs de la communauté.
L’acquisition de parts sociales dans la société coopérative se fera par l’achat de HUBs, la crypto-monnaie communautaire de HubCity et donnera à chaque nouvel associé un crédit de votes qu’il pourra répartir dans les propositions de solutions proposées sur le terrain. Un moyen ludique et interactif pour mieux connaitre le contexte local et participer à élaborer la meilleure stratégie pour aider à résoudre les défis de l’Afrique de l’Ouest.
A propos de l’auteur
Urbaniste et data scientist, Julien Carbonnell est spécialisé dans les technologies civiques et la formation des opinions sur les réseaux sociaux.